octobre 27

Monopole pharmaceutique en péril : Amazon Pharmacy peut-il se faire une place en France ?

0  comments

En Europe, déjà dix-huit pays ne donnent pas le monopole de la distribution des médicaments aux pharmacies. 

Cela signifie que dans une majorité des pays européens, certains médicaments peuvent être vendus ailleurs : grande surface, station-service, drugstore, etc. Avec ou sans la présence d’un pharmacien (selon le pays). 

Aux États-Unis, le fossé est encore plus grand : les « pharmacies » sont affiliées à des chaînes (rares sont celles encore indépendantes). Avant d’y trouver des produits de santé, vous trouverez toute sorte de choses : décoration de Noël, cartes de vœux, jouets, lait, soda, cosmétiques, chips, etc.

Dans cette vidéo, vous pourrez voir une pharmacie aux Etats-Unis et voir le contraste avec les pharmacies françaises.  

En France, la question du monopole pharmaceutique fait polémique depuis quelque temps maintenant. En 2008, le rapport Attali et sa décision 212 proposent des réformes concernant les pharmacies.

Mais aussi en 2013, l’Autorité de la concurrence l’a menacé.

Puis en mars 2019, Édouard Philippe, l’ex-Premier ministre, propose d’assouplir la vente de médicaments sur le web dans le but de créer une dynamique favorable sur les prix, pour le public. Selon lui, « les conditions de la vente en ligne de médicament dans notre pays apparaissent trop restrictives ». 

En parallèle, le géant américain du e-commerce, Amazon, lance son offre pharmaceutique aux Etats-Unis. 

Alors que des changements sont à prévoir pour les 20 000 pharmacies françaises, Amazon Pharmacy pourrait-il se faire une place en France ?

produits soumis au monopole pharmaceutique

Le monopole pharmaceutique et son évolution 

Selon le pays dans lequel vous vous rendez, vous pouvez trouver des médicaments dans différents points de vente. C’est le cas par exemple en Italie, au Portugal ou encore aux Pays-Bas. 

Dans ces pays vous achetez les médicaments over-the-counter (OTC) ou à prescription médicale facultative, dans les supermarchés, drugstore ou encore dans les stations-service. 

Mais en France (et Espagne par exemple), c’est impossible. Les médicaments ne peuvent être uniquement vendus en officine. On parle alors de monopole pharmaceutique. 

Il se définit comme la réservation de toutes les manipulations touchant l’ensemble des médicaments et les produits du monopole aux pharmaciens dans le but de protéger les patients contre les risques liés à l’utilisation des médicaments.

La liste des produits concernés est vaste : les médicaments destinés à l'usage de la médecine humaine, les objets, pansements et articles conformes à la pharmacopée, les plantes médicinales de la Pharmacopée, les aliments lactés pour nourrissons (<4 mois) dont les protéines sont hydrolysées, entre autres. 

Cependant, ce monopole a été remis en cause à plusieurs reprises et s’effrite progressivement.

Reprenons les grandes dates qui ont impacté le monde de la pharmacie :

  • L’Ordonnance royale du 25 avril 1777 de Louis XVI, composée de onze textes. Elle va pour la première fois définir un monopole pharmaceutique par opposition à la fonction de l’épicier. Cependant, elle concerne uniquement Paris et ses faubourgs. Il faudra attendre la loi du 11 avril 1803 pour que la réglementation et l’enseignement de la pharmacie soit s’appliquent au niveau national.
  • La loi du 11 septembre 1941 est arrivée 150 après la loi de 1803. Cette dernière avait ses limites face à la pharmacie moderne. Le monopole pharmaceutique évolue et le diplôme d'herboriste est supprimé. Puis une première liste de produits soumis au monopole émerge : la préparation et la vente des médicaments, les pansements, les plantes médicinales inscrites au codex, la fabrication et la vente de virus atténués, les sérums thérapeutiques et les vaccins, certaines substances vénéneuses et les produits hygiéniques ne contenant pas de substance vénéneuse.
  • L’ordonnance du 5 mai 1945, c’est la naissance de l'Ordre National des Pharmaciens
  • Le décret 53-591 du 25 juin 1953, la création du premier code de déontologie
  • Le rapport Attali (rapport de la Commission pour la libéralisation de la croissance française) de janvier 2008 propose différentes mesures pour « Ouvrir les conditions d’exercice des activités de pharmacie ». Nous retrouvons : la suppression du numérus clausus, limite le monopole pharmaceutique seulement aux médicaments prescrits sur ordonnance (avec l’Italie comme modèle) dans le but de faire baisser le prix des médicaments, permettre à des tiers d’investir dans le capital d’une pharmacie avec un pharmacien comme dirigeant. 
  • Le discours d’Arnaud Montebourg datant du 10 juillet 2014, a pour but d’augmenter le pouvoir d’achat des Français face aux professions soumis à un monopole. Cela aura comme impact une baisse du prix des produits concernés. 

Alors que l’Autorité de la concurrence avait déjà donné un avis favorable à la suppression du monopole pharmaceutique pour les médicaments d’automédication en 2013, elle confirme cet avis en mars 2019. Différentes propositions sont faites dans le but de baisser les prix des médicaments pour le patient, mais aussi pour permettre à des tiers d’investir dans le capital des pharmacies aux côtés d’un pharmacien et moderniser son cadre légal. 

Certains produits ne sont plus vendus par le monopole pharmaceutique comme les produits de parapharmacie (en 1984, création de la première parapharmacie Leclerc), les tests de grossesses et d’ovulation ou encore les produits pour l’entretien des lentilles (Loi Hamon 17 mars 2014).

1984 : 1ère parapharmacie

Aussi l’UFC-Que Choisir a réalisé deux études similaires concernant l’automédication en 2012 puis en 2017. 

Si ces études montraient des différences de prix qui pouvaient tripler voir quadrupler entre deux pharmacies, c’est aussi un problème de conseil et de sécurisation de la dispensation qui est révélé. 

En effet, lors de la demande d’Aspirine 330 mg à la vitamine C et de Rhinureflex (supprimé depuis octobre 2020, mais que l’on pourrait remplacer par un Rhinadvil par exemple), les réponses sont les suivantes : 

48 % des pharmacies n’ont pas spontanément réagi sur l’association contre-indiquée d’aspirine et ibuprofène, parmi elles :

 — de 10 % ont réagi après un questionnement du patient

 — de 38 % n’ont pas réagi après les questions du patient

Et 88 % d’entre elles n’ont pas interrogé le patient sur ses antécédents médicaux. 

Et malheureusement, c’est bel et bien une réalité. 

Mon Constat : 

Personne n’est exemplaire et il peut arriver d’oublier certaines choses et de faire des erreurs. Mais c’est un fait : bien trop de préparateur(trice) ou pharmacien ne délivrent des médicaments sans plus de précisions ni de questionnements. Souvent ils se contentent de demander « À avaler ou effervescent ? 2,18 € s’il vous plaît. » 

Soit parce qu’il y a du monde qui attend donc il faut « aller vite » ou parce qu’ils(elles) ont autre chose à faire,  ou encore parce qu’après 20 ans d'exercice ils sont lassés de poser toujours les mêmes questions (véridique, on m’a déjà dit ça 😮).

Mais la sécurité du patient ne prime-t-elle pas avant tout ? Si nous-même en tant que professionnel de santé (trop souvent comparé à de simples caissières) ne pouvons pas faire mieux que ça alors une vendeuse de chez Leclerc ne serait-elle pas en capacité de le faire ?

Si ce monopole pharmaceutique venait à disparaître et si la vente en ligne se voyait assouplie, qu’en serait-il ?

Le concept Amazon Pharmacy

Jeff Bezos a conquis le marché du e-commerce dans le monde et a imposé Amazon comme un leader dans son domaine.

Amazon a été lancé en 1994 et a progressivement élargi sa gamme de produits. 

En novembre 2020 Amazon lance Amazon Pharmacy aux États-Unis. 

Le but est de permettre aux Américains de commander leurs médicaments directement en ligne, sans se déplacer et en gagnant un temps considérable. Pas d’embouteillages ni de problèmes de stationnement et pas d’attente dans l’officine. 

Les patients peuvent même ajouter directement les informations de leurs assurances ou faire le choix d’acheter sans l’utiliser. 

S’ils adhèrent au programme Amazon Prime, ils peuvent bénéficier de remises sur leur traitement (jusqu’à 80 % pour les génériques et 40 % pour les médicaments sous marque). 

Ils peuvent commander leurs médicaments quand ils le souhaitent et 2 jours après, ils sont dans leur boîte à lettres. Pour les membres Prime, la livraison est gratuite. 

Les patients choisissent les conditionnements qu’ils préfèrent (30, 90 ou 180 jours). 

Si le patient est polymédicamenté alors Amazon Pharmacy propose le PillPack : ils trient vos médicaments par jour et heure de prise et les séparent dans de petits sachets. 

C’est ce que certaines pharmacies proposent aux établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) par exemple avec la Préparation des Doses à administrer (PDA).  

Vous me direz certainement, OK, c’est tout beau, tout rose, mais si le patient à un problème ? S’il perd son ordonnance et qu’il ne sait plus quand prendre son médicament ? 

Amazon a pensé à tout. 

Dans ce cas, le patient appelle un numéro spécial et est mis en relation avec un pharmacien. Ils sont disponibles 24/7. 

Grâce à l’application, le patient a accès à son traitement actuel, son historique, et au détail de ses prescriptions. 

Et tout ça sans bouger de son canapé… 

L'arrivée d'Amazon Pharmacy

Que penser d’Amazon Pharmacy ? Opportunité ou menace ?

À l’heure de la génération du “tout tout de suite”, Amazon Pharmacy répond à une problématique qui est bien réelle. 

D’ailleurs, cette citation résume assez bien la situation : Any Time, Any Where, Any Device (ATAWAD), soit n’importe quand, n’importe où, sur n’importe quel appareil. 

La génération Y (1980 à 2000) est née avec internet, le téléphone et les réseaux sociaux. Avec des applications et services rapides et nomades qui répondent à des demandes diverses et variées. 

Uber Eats permet de se faire livrer à manger. 

Vous pouvez vous faire livrer vos courses et les recettes qui vont avec grâce à Hellofresh. 

Une soirée improvisée ? Kol vous permet de commander vin, bières ou spiritueux et d’être livré en 30 minutes. 

Un dernier exemple Moneytime qui permet de se faire livrer n’importe quel article des commerçants de son quartier entre autres. 

Pourquoi cela ne serait-il pas envisageable pour les médicaments ? 

Amazon Pharmacy pourrait également répondre à la problématique des déserts médicaux.

Si le pharmacien reste disponible et sécurise la délivrance cela semble cohérent.

Une étude réalisée en mars 2021 en France montre qu’Amazon Pharmacy pourrait séduire aussi le marché français.  

En effet, 21 % des clients réguliers d’Amazon déclarent être prêts à utiliser le service pharmaceutique qu’il pourrait proposer. Soit jusqu’à  6 millions de Français. 

Pour les pharmaciens, une solution comme Amazon Pharmacy n’est pas envisageable pour plusieurs raisons : 

  • Présenter l’ordonnance originale pour pouvoir la tamponner 
  • Le risque de médicaments contrefaits 
  • Effectuer le tiers payant
  • La sécurité des données personnelles
  • Limiter le conseil associé et la vente de produits additionnels, etc. 

Mais à l’ère du numérique, ne pensez-vous pas que cela n’est qu’un détail ? 

Pour répondre à ces problématiques, des solutions existes déjà

  • Un logo européen a déjà été mis en place pour permettre au consommateur de s’assurer que le site de vente de médicaments est sûr.
  • Pourquoi ne pas donner au Dossier médical partagé toute sa place en notifiant une délivrance dessus et ainsi éviter de devoir tamponner l’ordonnance ? 
  • Et pour protéger la donnée de santé, utiliser des hébergements de données de santé certifiés semble être une solution. La certification est délivrée par le ministère de la Santé dans les conditions définies par le décret n° 2006-6 du 4 janvier 2006.

Pourquoi ne pas envisager et anticiper la perte du monopole pharmaceutique et l’arrivée des sites étrangers de vente en ligne des médicaments ? 


Un exemple innovant : 

C’est un peu ce que propose le site monordo.com : il permet aux patients, à leurs aidants ou à leurs proches de commander des médicaments en ligne, de n’importe où, à n’importe quelle heure (ATAWAD 😉). 

Puis les préparateurs en pharmacies et les pharmaciens les préparent en sachet-dose pour faciliter la prise et une meilleure observance du traitement. Et enfin les médicaments sont livrés au domicile du patient.

Pharmacie monordo

Amazon semble être une opportunité pour les consommateurs. Un moyen plus simple et accessible pour eux d'obtenir leurs médicaments. C'est en sens que ce nouveau service peut représenter une menace pour les pharmacies existantes

Je reste persuadée que les pharmacies ont encore leur place dans un monde qui se numérise, mais en s'adaptant et en évoluant. 

Et si on créait la pharmacie 2.0 du futur ?


Tags


You may also like

Leave a Reply

Your email address will not be published. Required fields are marked

{"email":"Email address invalid","url":"Website address invalid","required":"Required field missing"}

Subscribe to our newsletter now!